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musique classique

  • Marie Jaëll et ses amies

    Trois compositrices sont mises à l’honneur dans ce programme musical proposé par Présences compositrices dont l’objectif est la redécouverte de compositrices talentueuses oubliées. Marie Jaëll – dont nous avions déjà parlé sur Bla Bla Blog – Hedwige Chrétien et Louise Héritte-Viardot sont proposées dans un programme de musique de chambre postromantique.

    Commençons par Hedwige Chrétien (1859-1944). Son talent pour le solfège, l’harmonie et la composition est devenu évident dès ses jeunes années, avec de nombreux prix. Soyons lucides : pour les femmes musiciennes de cette époque, l’enseignement, plutôt que les concerts publics, est depuis longtemps une voie quasi obligatoire qu’elle choisit de suivre, avant de l’abandonner pour raisons de santé. Elle se consacre à la composition et écrit près de 250 pièces.

    L’album proposé par le Duo Neria, avec Natacha Colmez-Collard au violoncelle et Camille Belin au piano, propose deux œuvres représentatives de cette musique française néo-romantique, à savoir un délicat lied (Soir d’automne). L’influence de César Franck est bien là, dans cette subtilité des vagues mélodiques et des émotions tout en retenue. On trouve cette même délicatesse dans ses Trois pièces pour violoncelle et piano. Camille Belin caresse les touches du piano lorsque les cordes de Natacha Colmez-Collard déploient de soyeuses lignes mélodiques (Sérénité). Plus étonnant encore l’est ce Chant du soir aux accents folkloriques. Il semble que l’auditeur ou l’auditrice soit propulsé dans l’intimité d’une soirée d’hiver au siècle dernier. La dernière pièce de cette œuvre est ce Chant Mystique, sobre, tout en recueillement mais aussi fort de lignes mélodiques laissant deviner l’extrême sensibilité d’Hedwige Chrétien que l’on découvre avec plaisir.

    Marie Jaëll (1846-1922), de la même génération, commence à sortir de l’oubli et il est normal qu’elle soit présente dans cet opus. Franz Liszt a encouragé cette brillante musicienne, prodigieuse, perfectionniste et douée d’un grand lyrisme. Une romantique dans l’âme, comme le montre cette Sonate pour piano et violoncelle en la mineur, composée au départ – nous sommes en 1881 – pour piano seul. À l’écoute, l’influence des compositeurs romantiques allemands saute aux oreilles. 

    L’indifférence, donc. Injuste ? Oui !

    Marie Jaëll fait alterner lignes mélodiques audacieuses et joueuses, ruptures de rythmes et expressivité (Allegro appasionato). À l’écoute en particulier du scintillant Presto, le Duo Neria prend un plaisir évident dans l’interprétation de cette sonate qui a fait dire à David Popper, le violoncelliste qui a créé avec Marie Jaëll cette œuvre : "Vous n’avez rien de français en vous". Étonnant aveu, en forme de reproche voilé, dans cette période de haines mutuelles entre l'Allemagne et la France.  

    L’Adagio s’écoute comme un mouvement rêveur, pour ne pas dire onirique. Cette longue déambulation romantique prouve à quel point la compositrice mérite d’être redécouverte et ses œuvres jouées et rejouées. Il semble que Natacha Colmez-Collard et Camille Belin font inlassablement le tour de cette partie empreinte de mystères, laissant largement la place aux silences et à de longues respirations, avant un dernier mouvement. Le Vivace molto, d’une délicieuse fraîcheur, sonne avec une étonnante modernité dans cette facture postromantique.        

    Louise Héritte-Viardot (1841-1918) est la moins connue de ces compositrices. Des anges s’étaient pourtant penchés au-dessus de son berceau : une mère, Pauline Viardot, chanteuse mezzo et compositrice, une tante fameuse, la diva Maria Malibran ("La" Malibran) et un père directeur du Théâtre-Italien. Pourtant, la jeune femme a pour ambition de faire connaître ses compositions. Charles Gounod l’aide et la conseille dans ce projet. Un mariage raté, la guerre de 1870 et surtout une relative indifférence de la bonne société musicale ne rend pas grâce à ses talents de compositrice. Elle est prolifique – plus de 300 pièces, a-t-elle calculé – mais peu sont publiées et moins encore sont jouées. L’indifférence, donc. Injuste ? Oui !

    C’est sa Sonate en sol mineur op. 40 qui est proposée dans l’enregistrement. On se laisse séduire par la fluidité et la tension de l’Allegro commodo, mélodique et d’une formidable jeunesse. L’œuvre daterait de 1909 mais des musicologues la situerait plus tôt, dans les années 1880. peu importe. Le Duo Neria replace au grand jour une pièce virtuose et lyrique, à l’exemple du premier mouvement, long de plus de 9 minutes.

    Il faut voir le visage volontaire de Louise Héritte-Viardot pour deviner un solide caractère, audible dans cette œuvre dense et colorée. Et aussi romantique, à l’exemple du deuxième mouvement Andantino assai, molto expressivo. Bouleversant chant d’adieu, cette partie est jouée par deux interprètes exprimant d’une manière poignante une partie dont le terme de romantisme n’est pas galvaudé, avant un Intermezzo allegretto scherzando plus léger, puis un Finale (Allegro non troppo) donnant à entendre une compositrice que l’on a plaisir à découvrir. Merci au Duo Neria et à Présences compositrices ! 

    Impressions romantiques / Marie Jaëll – Hedwige Chrétien – Louise Héritte-Viardot,
    Duo Neria – Natacha Colmez-Collard
    , violoncelle & Camille Belin, piano, Présences compositrices, 2025

    https://www.presencecompositrices.com/mag/impressions-romantiques
    https://www.duoneria.com

    Voir aussi : "Résurrection"

     
     
     
     
     
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  • Premiers feux d’artifices romantiques pour Katok 

    Parlons, pour commencer, du Quintette à cordes en ut majeur de Schubert, créé en 1828, quelques mois avant sa mort à l’âge de 31 ans. C’est peu dire que cette œuvre constitue un jalon de la musique de chambre ; il s’agit en réalité d’une pièce romantique majeure du XIXe siècle et même de la musique classique tout court.

    L’Ensemble Katok la propose dans son premier album (un double album en réalité), Le temps suspendu, proposé par b•records. Une belle entrée en matière. Contrairement à ce que ne l’indique son nom, Katok, en hommage au réalisateur Tarkovski, est un ensemble bien français, ardéchois plus précisément, créé par le violoniste Paul Serri. Il s’est entouré pour l’occasion du violoniste Shuichi Okada, des violoncellistes Magdalena Sypniewski et Justine Metral et de l’alto Anna Sypniewski. L’enregistrement est une captation d’un concert lors du Katok Festival en octobre 2024, en l’église Saint-Pierre d’Antraogues-Asperjoc.

    Bla Bla Blog est d’emblée sensible à cette démarche de proposer la musique classique et contemporaine dans des lieux où la population a peu l’habitude de ce répertoire. C’est ce que l’on appelle la démocratisation de l’art. Un gros big up pour le Katok Ensemble.

    Cet album marque donc la naissance sur disque d’un ensemble attachant pour sa jeunesse (le frais et étincelant Allegro ma non troppo le prouve) et son hypersensibilité (indispensable pour s’attaquer au répertoire de Schubert). Pour s’en convaincre, que l’on écoute le sobre et bouleversant Adagio, dans lequel les silences sont aussi importants que les notes. Dans le livret de présentation du disque, Paul Serri rappelle que lorsque Schubert écrit son Quintette  D 956, il se sait condamner. Toujours dans cet Adagio, la tristesse se fait chant d’adieu. Ce qui n’empêche pas le compositeur, qui n’a jamais connu la gloire de son vivant, de se révolter contre la mort qui va l’emmener quelques mois plus tard.

    Les longs mouvements du Quintette permettent à l’auditeur de se laisser mener par une composition aussi simple que géniale, et d’une passion jamais entendue jusqu’alors dans le classique – le romantisme incarné. Ne faisons cependant pas de ce Quintette une œuvre funèbre. Elle est au contraire vibrante de vie, à l’instar du Scherzo-Presto, et même moderne dans certains passages. On a, à juste titre, salué le talent d’architecte sonore de Schubert. Qualité présente notamment dans le formidable dernier mouvement Allegretto. Schubert refuse la tristesse, au profit d’une série de danses romantiques. La vie l’emporte définitivement sur la mort. C’est ce que les six musiciens et musiciennes de l’Ensemble Katok ont compris. 

    Deux compositeurs qui ne se sont jamais rencontrés

    À côté de Schubert, la présence de Beethoven tombe sous le sens dans ce double album. Et pourtant, les deux compositeurs ne se sont jamais rencontrés. Schubert vouait une admiration sans borne pour son maître, génie reconnu, lui, de son vivant.

    Nous parlions de Schubert et de son quintette composé quelques mois avant son décès. Lorsque Ludwig van Beethoven écrit son Quatuor à cordes n° 15 en la mineur, il sort d’une grave maladie et est en convalescence. Nous sommes entre décembre 1824 et août 1825, quatre ans plus tôt donc. Le compositeur allemand sent lui aussi la fin proche (s’en sera fini trois ans plus tard). Voilà qui rend cette pièce de musique de chambre particulièrement poignante (Assai sostenuto).

    Et pourtant, ce quatuor est d’abord une œuvre de commande pour le Prince Galitsyne datant de 1822. Un soulagement financier pour Beethoven qui s’y met assez tard, fin 1824. Un an plus tôt, il a créé sa Neuvième Symphonie. Voilà pour les circonstances d’écriture.

    L’Ensemble Katok s’attaque sans complexe à ce monument de la musique classique, sans fléchir sur l’Allegro du premier mouvement. On a, à juste titre, salué le modernisme du deuxième mouvement, Allegro ma non tanto. Il respire. Il médite, même, dirions-nous, comme s’il était en suspension permanente, soudainement interrompu par une singulière danse, venant interrompre par un élan de vie une partie dominée par l’attente et la réflexion.  

    Le Molto adagio vient nous rappeler que nous avons à faire à une œuvre singulière et importante de Beethoven. La mort et la douleur sont au centre de cette création qui continue de marquer les esprits. Mystique, spirituel, métaphysique : ces termes pourraient être utilisées pour cette partie ressemblant à une pièce religieuse – un chant d’action de grâce et de reconnaissance, précisait Beethoven lui-même. L’Ensemble Katok propose là l’une des parties les plus bouleversantes et réussies du double album.

    Singulier est le quatrième mouvement en forme de marche (Alla marcia, assai vivace). C’est une sorte de parenthèse pour reposer les oreilles de l’auditeur et l’auditrice. D’ailleurs, les musicologues remarquent que Beethoven est resté longtemps indécis sur la facture et le rythme à donner à cette partie. Elle est courte (2 minutes 26 dans cet enregistrement public de b.records). Il ne donne que plus de relief au cinquième et dernier mouvement Allegro appassionato. Il est romantique, certes, mais surtout poétique et plein de sève. L’énergie pulse dans cette magnifique partie conclusive, demandant aux interprètes virtuosité et cohérence d’ensemble impeccable. Le quatuor commençait la pièce avec de lourds nuages, voilà qu’elle devient une ode à la jeunesse. Impossible pour le Katok Ensemble de ne pas retranscrire cet élan bienfaisant. Beethoven for ever.

    À noter enfin que, comme toutes les productions de b.records, le ou la propriétaire du disque aura droit à un poster original, ici une création graphique originale de Magali Cazo

    Le temps suspendu, Franz Schubert & Ludwig van Beethoven,
    Ensemble Katok, b•records, coll. Katok, 2025 

    https://www.b-records.fr/disques/le-temps,-suspendu
    https://katok.fr/katok-ensemble

    Voir aussi : "Et de 3, et de 2"
    "Pas de pépin pour Julien Desprez"

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  • … Un autre renouveau des Saisons

    Hier, je vous parlais d’un enregistrement très classique, et néanmoins vitaminée des Quatre Saisons de Vivaldi par le Klaipéda Chamber Orchestra. Place aujourd’hui, toujours chez Indésens, a une version cette fois beaucoup plus contemporaine de cette œuvre intemporelle que Max Richter a nommé The New Four Seasons – Vivaldi Recomposed. Les puristes ont hurlé lors de la création en 2012 de cette relecture qui est plutôt une composition originale à partir des Quatre Saisons de Vivaldi dans lequel se mêlent les cordes baroques et des nappes synthétiques de musique électronique.

    C’est de nouveau le Klaipéda Chamber Orchestra, dirigé par Mindaugas Bacus qui se frotte à l’expérience, avec une nouvelle fois les solistes violonistes Justina Zajancauskaite, Ruta Lipinaityte, Egle Valute et Julija Andersson. Il faut saluer l’audace, et du compositeur allemand comme des interprètes dans ce qui apparaît comme une œuvre originale de notre siècle. Le livret nous apprend que Max Richter a supprimé "environ 75 % du matériau original de Vivaldi tout en conservant certains motifs célèbres" (Spring 1).

    Le baroque prend un sérieux coup de dépoussiérage, sans être pour autant étrillé ni trahi (Spring 2, Summer 1). L’esprit est là, dirions-nous, y compris dans l’Allegro du "Printemps" (Spring 3). Max Richter appartient au mouvement post minimalisme. Il est vrai que l’influence du minimalisme américain, certes dépassé ici, est évident. Les lignes musicales sont claires, modernes, néoclassiques et viennent servir le vénérable Vivaldi, non sans audace cependant.

    Quel tempérament !

    Les violonistes Justina Zajancauskaite, Ruta Lipinaityte, Egle Valute et Julija Andersson servent avec la même enthousiasme que leur autre version plus traditionnelle des Quatre Saisons (Summer 1), avec ardeur, hardiesse et même une sacrée solidité. Quel tempérament ! Max Richter peut se féliciter d’être aussi bien servi par ces violonistes ne se posant pas de questions. L’Adagio de "L’été" devient un chant funèbre. Sans doute l’une des plus belles bouleversantes parties de ces Nouvelles Quatre Saisons. Le Summer 3 est aussi naturaliste que l’était le Presto "orageux" de "L’Eté" de Vivaldi.

    Si Max Richter reprend la facture archaïque des danses du début de l’automne (Autumn 1), ce n’est pas sans faire des écarts à la composition originale : dépoussiérage en règle et coups d’archers tendus sont au menu de ce mouvement, finalement peu dépaysant. Pas plus dépaysant l’est l’Autumn 2, dans lequel le baroque revient en majesté. Finalement, voilà un "Automne" des plus séduisants, y compris dans sa troisième partie aux fortes influences du courant répétitif américain.

    Le premier mouvement de "L’Hiver" (Winter 1) reprend la structure de l’Allegro non molto originel de Vivaldi, avec ses célèbres lignes mélodiques, mais que Richter a ratiboisé avec audace. On trouvera cela génial ou au contraire inutile. Pour le Winter 2, la composition est nappée de sons électroniques, donnant à ce mouvement une aridité glaciale. Il semble voir de faibles flammèches tenter de réchauffer l’âtre d’une cheminée en plein hiver. La dernière partie, Winter 3, fait se mêler pour terminer post minimalisme et baroque, comme une synthèse de ces Nouvelles Quatre Saisons, incroyables et qui ont fait couler de l’encre à leur sortie.

    Max Richter, The New Four Seasons – Vivaldi Recomposed, Klaipéda Chamber Orchestra, dirigé par Mindaugas Bacus, avec Justina Zajancauskaite, Ruta Lipinaityte, Egle Valute et Julija Andersson (violons),
    Indesens Calliope Records, 2025

    https://indesenscalliope.com
    https://www.koncertusale.lt/en/collective/klaipeda-chamber-orchestra
    https://maxrichtermusic.com
    https://www.facebook.com/zajancauskaite.justina
    https://rutalipinaityte.com/en/homepage
    https://www.instagram.com/eglevalute
    https://www.facebook.com/p/Julija-Andersson-100085192234016

    Voir aussi : "Un renouveau des Saisons…"

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  • Un renouveau des Saisons… 

    Vous allez me dire : "Encore Vivaldi ! Encore les Quatre saisons !" Certes, mais celles-ci méritent un coup d’oreille. Je dis bien "celles-ci", car il sera question, aujourd’hui et demain, de deux versions radicalement différentes avec le chef-d’œuvre universellement connu de Vivaldi.

    Crées en 1724 par le compositeur vénitien, ces Quattro Stagioni (Indésens) sont quatre concertos pour violon, opus 8, en trois mouvements, décrivant en musique les saisons, avec une virtuosité chère à Vivaldi, lui qui avait fait sa renommée autant comme compositeur que comme violoniste justement virtuose.

    Le Klaipéda Chamber Orchestra, dirigé par Mindaugas Bacus, respecte l’écriture de Vivaldi. L’ensemble lituanien est aidé en cela par les quatre violonistes qui endossent avec autorité l’exigeante partition, à savoir les Lituaniennes Justina Zajancauskaite, Ruta Lipinaityte, Egle Valute et Julija Andersson. Elles s’emparent en douceur de l’Allegro du 1er Concerto "Le printemps", avec en tête cette interprétation naturaliste parlant du chant joyeux des oiseaux et du murmure des herbes et du feuillage (Largo et Pianissimo sempre). Le baroque de Vivaldi, qui semble déjà annoncer le classicisme naissant, se fait archaïque avec le troisième mouvement, célébrant les fêtes et les danses pastorales.

    Archi jouée et archi écoutée (parfois trop, si l’on pense à son utilisation dans les publicités ou les messageries téléphoniques !), cette œuvre semble toujours révéler des secrets. Et c’est là que le talent des interprètes prend tout son sens. Ainsi, le 2e Concerto "L’été" a rarement paru aussi mélancolique. Le soleil écrase hommes et troupeaux, le zéphyr vent annonce un orage menaçant (Allegro non molto). La virtuosité des quatre solistes doit allier précisions des notes, expressivités et, bien sûr, virtuosité. Ce qui n’empêche pas ces moments de tensions suspendues avec la crainte des éclairs et les vols nerveux et inquiétants des mouches et des taons (Adagio). Quand on parle d’œuvre musicale et expressive, quoi de plus parlant que le Presto impetuoso d’estate du 3e mouvement. Les cordes et les coups d’archers nerveux font résonner comme jamais les éclairs et les tonnerres.

    Archi jouée et archi écoutée cette œuvre semble toujours révéler des secrets

    Pierre angulaire de la musique baroque, ces Quatre Saisons se font archaïques dans les deux premiers mouvement (Allegro et le tendre Adagio molto) du 3e Concerto pour violon "L’automne", avec ces danses paysannes et l’expression des bonheurs simples : la bonne récolte, le vin, les chants, les danses, le repos, en un mot le plaisir. Le troisième mouvement (La caccia – Allegro) n’est pas celui qui vient le premier en tête lorsque l’on parle des Quatre Saisons de Vivaldi. Et pourtant, il n’est pas le moindre intéressant : le compositeur exprime en musique les derrière son rythme en forme de chevauchée ("Le chasseur part pour la chasse à l’aube, / Avec les cors, les fusils et les chiens", dit le sonnet écrit, semble-t-il, par Vivaldi himself), se cache l’ombre de la mort, celle de la bête traquée : "Elle tente de fuir / Exténuée, mais meurt sous les coups". Tout cela est rendu avec une fausse désinvolture. Troublant. Comme quoi, beaucoup est encore à découvrir dans ces quatre concertos.

    Vivaldi termine, évidemment, avec "L’hiver", sans doute le concerto qui serre le plus au cœur. L’énergie est au service d’une saison rude, ce qu’exprime avec talent l’orchestre Klaipéda (Allegro non molto). Étrange "Hiver" en réalité, qui nous parle aussi des soirées au coin du feu alors que la pluie glacée tombe à torrents dehors (Largo), avant une toute dernière partie paisible. Le sonnet accompagnant l’oeuvre est à cet égard éloquent : "Ainsi est l'hiver, mais, tel qu'il est, il apporte ses joies". Tout comme la joie de cet enregistrement qui entend revisiter une œuvre majeure de la musique baroque avec l’insouciance et la fraîcheur de jeunes artistes.

    Antonio Vivaldi, Les Quatre Saisons, Klaipéda Chamber Orchestra, dirigé par Mindaugas Bacus,
    avec Justina Zajancauskaite, Ruta Lipinaityte, Egle Valute et Julija Andersson (violons),
    Indesens Calliope Records, 2025
    https://indesenscalliope.com

    https://www.koncertusale.lt/en/collective/klaipeda-chamber-orchestra
    https://www.facebook.com/zajancauskaite.justina
    https://rutalipinaityte.com/en/homepage
    https://www.instagram.com/eglevalute
    https://www.facebook.com/p/Julija-Andersson-100085192234016

    Voir aussi : "Philippe Guilhon Herbert : « Ravel est au plus près de mon parcours de musicien »"

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  • Philippe Guilhon Herbert : "Ravel est au plus près de mon parcours de musicien"

    Philippe Guilhon Herbert sort cette année un album Ravel. La commémoration du compositeur français, dont nous fêtons les 150 ans, est l’occasion pour le pianiste de proposer un enregistrement des plus singuliers. Nous avons voulu en savoir plus. 

    Bla Bla Blog – Bonjour, Philippe. Dans votre actualité musicale, il y a un album Ravel, un compositeur dont nous fêtons les 150 ans de la naissance. Que représente Maurice Ravel pour vous et, surtout, quelle place tient-il dans votre panthéon musical ?
    Philippe Guilhon Herbert  –  Bonjour et merci de notre entretien. 
    Durant ma prime jeunesse, Maurice Ravel m'a été moins familier que Claude Debussy, dont j'avais très tôt étudié de nombreuses pièces, comme ses Préludes et Images. A l'âge de 15 ans, j’ai travaillé Une barque sur l’océan, découvrant ainsi  l’extraordinaire raffinement et la fluide virtuosité de Ravel, dont les œuvres ne m’ont depuis plus quitté ; Gaspard de la Nuit, Valses nobles et sentimentales, mais aussi son sublime Trio, qui allient à son génie harmonique et mélodique un sens du rythme unique. Aux côtés de Beethoven, Schubert et Chopin, Ravel est au plus près de mon parcours de musicien.

    BBB – Ravel a été et est toujours archi-joué. Dans votre dernier album (Piano Works, Indésens Calliope), vous avez fait un choix singulier : celui de proposer des pièces jouées non pas sur un mais sur trois pianos. Pouvez-vous nous expliquer ce choix ?
    PGH –  L’enregistrement s'est déroulé en trois lieux distincts : le temple luthérien Saint Marcel à Paris (Sonatine)  le studio de Meudon (Ondine)  ainsi qu’une salle de concert à Bangkok (Valses nobles et sentimentales, Pavane…), avec trois dispositifs de micros, harmonisés grâce au mastering de S. Bouvet, ingénieur du son. Ce Steinway D et ces deux Fazioli proposent une large gamme de timbres et de résonnances, offrant une grande variété de nuances et un vaste éventail de sonorités.

    Bla Bla Blog – Beaucoup d’auditeurs et d’auditrices ne connaissent pas ces Valses nobles et sentimentales de Ravel. Pourquoi avoir choisi de les proposer ? 
    PGH – Il est vrai que La Valse est plus connue que ses Valses nobles et sentimentales ; toutefois  ce recueil est sublime de subtilité, de grâce, mais aussi d’énergie rythmique et de contrastes. Il offre une large variété de registres, de couleurs et climats, de dynamiques, jusqu’à sa dernière valse qui, extatique, voit le temps musical se gondoler, se suspendre puis s’assoupir.

    Ravel. Stravinsky et Debussy sont des "phares"

    Bla Bla Blog – Pourquoi n’avoir proposé que deux parties pour Ma mère L’Oye ?
    PGH – Il s'agit de la version originale, pour piano à 4 mains, dont seules ces deux pièces peuvent être jouées par un seul interprète.

    Bla Bla Blog – Vous vous intéressez aux créations contemporaines. Finalement, Maurice Ravel était-il plus moderne qu’on ne veut bien le dire ? 
    PGH – Ravel. Stravinsky et Debussy sont des "phares" qui ont éclairé tout le 20ème siècle musical. Leur génie visionnaire inspire toujours la création contemporaine, sans aucun doute.

    Bla Bla Blog – Pouvez-vous nous parler de vos projets pour la fin de cette année et pour 2026 ? De nouveaux enregistrements ? Des tournées ? 
    PGH – J’ai enregistré début Juillet un double programme Beethoven & Schubert ; j’espère que le label Indésens Calliope, selon son calendrier, le publiera en 2026. Je souhaite enregistrer un second volume Beethoven prochaInement ; quant aux concerts, attendu que je réside en Asie depuis quelques années mais souhaiterais à présent revenir vivre à Paris une grande partie de l’année, il s’agit pour moi d’organiser ici un 3come back".  

    Bla Bla Blog – Nous aimons bien interroger nos invités sur leurs coups de cœur ? Quels sont les vôtres en matière de musique, au sens large, comme en matière de cinéma, de télévision, d’expositions ou de lectures ? 
    PGH – Je suis passionné par le talent et la beauté artistique sous de nombreuses formes (les grands acteurs-trices, réalisateurs-trices, différents genres musicaux, les arts plasiques…) mais si je dois retenir une figure majeure de mon intérêt et de mon étude constante, il s’agit de l’œuvre de Schopenhauer. 

    Bla Bla Blog – Merci, Philippe.
    PGH – merci à vous.

    Maurice Ravel, Piano Works, Philippe Guilhon Herbert, Indésens Calliope Records, 2025
    https://indesenscalliope.co
    https://www.facebook.com/pghpianist

    Voir aussi : "Ravel nu"

    Photo : Avec l'aimable autorisation de l'artiste

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  • Ravel nu

    Les enregistrements de la musique de Ravel sont particulièrement importants en cette année qui marque les 150 ans de sa naissance. De tous les compositeurs français du XXe siècle, il est sans doute celui qui a marqué le plus profondément la mémoire collective et l’admiration des amoureux et amoureuses de la musique classique.

    Voilà une preuve supplémentaire avec ce programme pour pianos – au pluriel car Philippe Guilhon Herbert a enregistré cet album sur pas moins de trois instruments distincts, aux sonorités et touchés sensiblement différents. Piano Works (Indésens Calliope) propose un choix d’œuvres, alternant des "tubes" (Pavane pour une infante défunte, Ma mère L’Oye) et des moins connues (ses Valses nobles et sentimentales et le court Prélude en la mineur, M.65).

    Mais commençons par le commencement, avec la magnétique Pavane pour une infante défunte. Chant de deuil, ce morceau prend, sous les doigts de Philippe Guilhon Herbert l’aspect d’une consolation et d’un au revoir à peine triste. Au pire, mélancolique, dans toute sa nudité.

    Gaspard de la nuit est d’abord une œuvre pour piano de 1908, avant d’avoir été transcrite pour orchestre plus de 80 ans plus tard. On est, avec Philippe Guilhon Herbert, dans l’essence de cette pièce à la fois rêveuse et fantasmagorique. On peut parler de néoromantisme mais aussi d’impressionnisme dans la partie Ondine, illustrant le conte d'Aloysius Bertrand mettant en scène une nymphe des eaux tentant de séduire un homme. Ravel en fait une pièce onirique. Le pianiste s’approprie l'œuvre avec la même délicatesse que la Sonatine, chaque note sonnant avec une grande précision. Le mouvement Modéré est joué avec lenteur, ce que la pianiste Marguerite Long préconisait d’ailleurs. Bien vu. Le Mouvement de Menuet entend moderniser une danse archaïque, non sans nostalgie, donnant à cette partie une atmosphère souriante et presque naïve. Le mouvement Animé qui vient clore la Sonatine a cet aspect pétillant et rythmé, sans esbroufe pourtant, ce qui rend cette œuvre composée entre 1903 et 1905 si attachante. 

    Ce Tombereau de Couperin recycle la douleur en de somptueuses nappes harmoniques et mélancoliques

    Le tombeau de Couperin est plus connu. Il a été composé en pleine première guerre mondiale, après la participation de Ravel à la terrible Bataille de Verdun qui le laissera blessé. Démobilisé en 1917, le compositeur écrit cette suite en six pièces (il y en a la moitié dans l’enregistrement de Philippe Guilhon Herbert) après l’avoir mûrie depuis 1914. La mort de sa mère en 1917, qui le laisse inconsolable, fait de ce Tombeau de Couperin, une œuvre très personnelle. Si Ravel s’inscrit dans la tradition française de François Couperin, le Tombeau a été écrit en hommage à des artistes et anciens camarades de tranchées de Ravel : le musicien Jacques Charlot pour le Prélude, le peintre Gabriel Deluc pour le Forlane et Jean Dreyfus pour le Menuet (ce dernier est de la famille du compositeur et musicologue Roland-Manuel). Faussement léger (Prélude), ce Tombereau de Couperin recycle la douleur en de somptueuses nappes harmoniques et mélancoliques. Le mouvement Forlane, une ancienne danse italienne, est ici singulièrement proposée dans un rythme plus que lent, funèbre. Cette partie s’étire avec douleur mais aussi pudeur. Philippe Guilhon Herbert n’en rajoute pas dans ce mouvement moderne, en dépit de son ancrage dans la tradition du XVIIe siècle. Tradition également avec le Menuet que Ravel épure et transforme en chant d’adieu.  

    Dans l’opus, Philippe Guilhon Herbert a choisi de proposer les Valses nobles et sentimentales, écrites en 1911. le compositeur comme le pianiste proposent là une palette de ces huit valses si différentes. Il y a la brillance de la première ("Modéré – très franc"), la moderne et expressive deuxième ("Assez lent"), la coquette "Modéré", la fantasmagorique "Assez animé", l’intimiste "Presque lent", le très court mouvement "Vif" (pas tant que cela, cependant), le mélancolique "Moins vif" (un petit joyau) et l’Épilogue "Lent". Cette dernière partie est la plus longue de la suite de valses. Des Valses nobles et sentimentales qui ont été décriées à leur sortie en 1911, en raison de leur modernité.

    Ma mère L’Oye ne pouvait pas ne pas apparaître dans ce programme. Philippe Guilhon Herbert a sélectionné seulement deux pièces, la Pavane de la Belle au bois dormant et Le jardin féérique. Le mystère et la grâce de Ravel sont là, dans leur beauté et leur finesse, avec en plus l’onirique et merveilleux Jardin féerique. Les doigts de Philippe Guilhon Herbert ne jouent pas. Ils effleurent les touches, comme pour ne cas casser l’harmonie de ce joyau, jusqu’au rideau final.

    Bientôt, sur Bla Bla Blog, le musicien répondra en exclusivité aux questions de Bla Bla Blog.

    Maurice Ravel, Piano Works, Philippe Guilhon Herbert, Indésens Calliope Records, 2025
    https://indesenscalliope.com
    https://www.facebook.com/pghpianist

    Voir aussi : "Qui n’aime pas Ravel ?"
    "Le retour de Claire Désert chez Maurice Ravel"

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  • Et de 3, et de 2

    Le nom de Confluence illustre la rencontre entre deux instruments, au service des six sonates en trio de Bach, des œuvres pour orgue transcrites ici pour la flûte et le clavecin. Et là, vous me demanderez : Pourquoi le terme de "trio" pour des pièces pour orgue "seul" ? Tout simplement parce que les voix désignent le jeu de la main droite, le jeu de la main gauche et celui du pédalier. Bach avait fait de ces compositions des créations à vocation autant artistique que pédagogique – pour orgue, donc. On imagine le défi mais aussi l’intérêt de proposer une version pour deux instruments, en l’occurrence la flûte de l’exceptionnelle Sooyun Kim et le clavier du non moins formidable claveciniste Kenneth Weiss.

    Dans la première Sonate BWV 525 en mi bémol majeur, l’Allegro vif, mené tambour battant et où la virtuosité ne prend jamais le pas sur une forme d’insouciance ni sur le clavecin plein d’allant de Kenneth Weiss. Voilà un beau duo que celui-là. Le lumineux, gracieux et long Adagio (plus de 7 minutes) fait figure de prière. Nous parlions de virtuosité. Il en est question dans le scintillant troisième et dernière mouvement Allegro de cette première sonate mené tambour battant, avec le lustre qui sied bien au Kantor de Leipzig.  

    La flûtiste d’origine coréenne, internationalement reconnue, s’affirme plus que jamais dans un instrument moins souvent à l’honneur que le piano, le violon ou le violoncelle. Elle fait des étincelles dans des répertoires aussi exigeants que ceux de Bach – que l’on pense au Vivace de la 2e Sonate BWV 526 ou à l’Allegro, mené avec des nerfs d’acier. On aime cette force de tranquille de Sooyun Kim

    La flûtiste d’origine coréenne s’affirme plus que jamais dans un instrument moins souvent à l’honneur que le piano, le violon ou le violoncelle

    C’est par un Andante que commence la 3e Sonate en ré mineur BWV 527, mouvement d’ouverture lent, ce qui n'est pas si fréquent que cela. Sooyun Kim l'aborde avec concentration et mesure. Une 2e partie, lente elle aussi (Adagio e dolce), lui succède. Quel était l’esprit de Bach au moment de l’écriture de cet opus ? En tout cas, Sooyun Kim et Kenneth Weiss proposent une version comme en lévitation, avant un brillant Vivace, rond et chaleureux.

    La patte du compositeur allemand est reconnaissable dès la première note : la virtuosité, les couleurs, les densités font merveille et brillent de mille feux, à l’instar de l’Adagio-vivace de la Sonate n°4 BWV 528 en mi mineur. Une sonate qui séduit tout autant par son Andante d’une profonde mélancolie. On est dans une facture classique, à laquelle vient répondre une courte danse Un poco allegro – quoique, pas si "poco" que cela…

    Le feu d’artifice survient avec le majestueux Allegro de la Sonate n°5 en do majeur BWV 529. Bach propose un premier mouvement d’une haute technicité. Défi relevé bruyamment par la flûte de Sooyun Kim et le clavier de Kenneth Weiss. On est presque surpris par la nudité du Largo. Il y a du lyrisme dans cette partie, paradoxalement d’une profonde mélancolie. La flûtiste s’attaque à l’Allegro avec une belle hardiesse pour un mouvement technique, mélodique et très rythmé.

    L’enregistrement se termine avec la sixième Sonate en trio en sol majeur, BWV 530. Le 6 est le chiffre fétiche de Bach, comme le rappelle le livret de l’album, si l’on pense à ses 6 Concertos brandebourgeois, ses 6 Partitas pour violon et ses 6 Suites françaises, anglaises et italiennes. Comme pour autres sonates, la virtuosité, la couleur et le rythme sont mis à l’honneur (Vivace). Ce qui n’empêche pas le Kantor baroque de Leipzig de s’affirmer comme le premier et sans doute le plus grand des classiques (Lento). Sooyun Kim domine son sujet avec élégance et une facilité déconcertante, prouvant qu’elle reste une déesse de la flûte. Le duo qu’elle forme avec Kenneth Weiss termine avec brillance sur un Allegro enjoué.

    Saluons enfin la très belle prise de son, équilibrant parfaitement les sons de la flûte et celle du clavecin, dans un programme de transcriptions qui risque de faire date pour ces Sonates en trio, conçues au départ - rappelons-le - pour orgue seul.   

    Jean-Sébastien Bach, Confuence, Six Trio Sonatas,
    Sooyun Kim (flûte) et Kenneth Weiss (clavecin), Musica Solis, 2025

    https://www.musicasolis.com/confluence
    https://www.sooyunkim.com
    https://www.instagram.com/sooyunkimflute
    https://www.kennethweiss.info/fr

    Voir aussi : "Une route de la soie"
    "Bach total"

    "Majeur !"

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  • Bach total

    Enregistré à Dijon, cette Passion selon s. Jean de Jean-Sébastien Bach, mis en scène par la chorégraphe Sasha Waltz, entrera sans aucun doute dans les annales. Arte propose en replay cette incroyable vision jusqu’en juin prochain. Choc visuel et sonore garanti, pour public averti cependant.

    L’oratorio de Bach, conçu comme un ballet contemporain osé, intelligent et faisant la part belle au symbolisme, commence par cette incroyable scène de 11 danseurs et danseuses nues cousant leur propre vêtement – leur linceul, avons-nous envie de préciser – dans un silence monacal, si l’on excepte celui des machines à coudre.

    Et ce n’est que le début d’un spectacle total où la danse, les jeux exigeants des artistes et la mise en scène inventive et audacieuse de Sasha Waltz ne font que servir une œuvre à la fois profane et sacrée – elle s’appuie sur les Évangiles mais n’était pas destinée au culte. À la direction musicale, Leonardo García Alarcón et son orchestre sont parties prenantes, dans tous les sens du terme, de cette version vitaminée de la Passion de Jean. Que l’on  pense au "Von den Stricken meiner Sünden", interprété par un formidable Benno Schachtner ou à la lumineuse interprétation du "Ich folge dir gleichfalls" par Sophie Junker. 

    Des idées de mise en scène qui feront date

    Œuvre baroque, il fallait bien un spectacle baroque pour donner à ce chef d’œuvre créé en 1724 une nouvelle lecture. Sasha Waltz avait déjà proposé sa mise en scène à Liepzig, à l’occasion des 300 ans de cet opus intemporel.

    Il est évident que beaucoup hurleront au choix artistique d’un décor dénudé et d’acteurs et actrices qui ne le sont souvent pas moins. Que l’on adhère ou non, on ne pourra qu’applaudir aux idées de mise en scène qui feront date : la fameuse scène des machines à coudre (Ouverture), les bâtons symbolisant des instruments de supplice ("Christus, der uns selig macht"), les cadres figurant les croix ("Betrachte, meine Seel, mit ängstlichem Vergnügen")  et en général les performances des danseurs et danseuses lorsque les corps s’unissent, s’affrontent, se rejettent et emplissent l’espace. Le but de la chorégraphe ? Proposer une lecture moins sacrée qu’humaine. Le personnage de Jésus prend une figure symbolique et interchangeable, tantôt homme, tantôt femme – voire couple enlacé (le "Mein teurer Heiland, laß dich fragen" dans l’Acte IV). Sasha Waltz a volontairement choisi de faire de cette Passion une œuvre de notre époque, n’éludant pas un discours féministe, tout en parlant de souffrance, de sacrifice, de liberté et d’écrasement du faible par la force brutale – ici, politico-religieuse.

    Véritable coup de maître, ce spectacle mérite d’être vu et revu pour saisir tous les détails de la mise en scène, comme pour apprécier la maîtrise des danseurs et danseuses. Rien n’est laissé au hasard dans ce chef d’œuvre de création contemporaine pour servir la musique indémodable de Jean-Sébastien Bach. Du grand art total, assurément.  

    Jean-Sébastien Bach, La Passion selon saint Jean, par Sasha Waltz,
    Arte, 132 mn, Arte, 2024, Arte, jusqu’en juin 2026

    avec Sasha Waltz (Mise en scène et chorégraphie), Cappella Mediterranea dirigé par Leonardo García Alarcón, chœur de la Chambre de Namur, Opéra de Dijon
    https://www.arte.tv/fr/videos/119415-000-A/la-passion-selon-saint-jean-de-bach-par-sasha-waltz
    https://www.sashawaltz.de

    Voir aussi : "Pierre Boulez, le maître au marteau et à la baguette"

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